La Poste tunisienne a entrepris il y a quelques années le processus de création de la Banque Postale, mais ce projet tarde toujours à voir le jour. De nombreuses accusations ont été portées à l'encontre de la Banque Centrale, accusée de bloquer la concrétisation de cette institution. Cependant, un examen approfondi des faits révèle que bien que la BCT ait ralenti ce processus, c'est plutôt le ministère des Finances qui a mis fin à ce projet.
Le feu orange de la Banque centrale…
Le 31 décembre 2019, la Poste tunisienne a soumis une demande de licence préliminaire pour la création de la Banque Postale à la Commission des Licences de la BCT. Dans cette démarche, La Poste a été soutenue par la banque d'affaires Cap Bank.
La réponse de la BCT, arrivée avec un retard de 10 mois par rapport aux délais réglementaires, a cité plusieurs lacunes empêchant de donner son feu vert à ce projet.
Pour accorder son approbation, la BCT a exigé la révision du modèle d'affaires proposé pour la Banque Postale, notamment les points en relation avec la manière dont les comptes courants et les comptes d'épargne postaux seraient traités.
Actuellement, la Poste tunisienne gère ces dépôts, considérés comme des ressources utilisées pour financer le budget, pour le compte de l'État. Ces fonds sont donc déposés auprès du Trésor public.
Pour la Banque Postale, la Poste a proposé de maintenir ses relations existantes avec le ministère des Finances en ce qui concerne la gestion des comptes courants et des comptes d'épargne postaux. Elle a par contre proposé la création de nouveaux comptes au sein de la Banque Postale qui seraient utilisés comme ressources pour la banque.
Cette proposition n'a pas été bien reçue par la Banque Centrale, qui a estimé que le maintien des opérations financières actuellement fournies par la Poste tunisienne ne lui permettrait pas d'exercer son contrôle sur ses services.
Suite à une proposition du régulateur, une commission a été formée, réunissant La Poste, le ministère des Technologies de l'Information et de la Communication, le ministère des Finances et la BCT. Cette commission avait pour objectif de parvenir à un consensus sur la vision stratégique du transfert des services financiers à la Banque Postale.
La BCT s'est également engagée à soutenir La Poste tunisienne dans la reformulation de la demande et a proposé de soumettre le dossier à un Conseil ministériel restreint afin de garantir les conditions de réussite du projet.
Dans le cadre de cette commission, une nouvelle vision stratégique pour la Banque Postale a été élaborée, soulignant la complémentarité entre cette nouvelle institution et les banques classiques, notamment en proposant des services financiers différents à des tarifs préférentiels.
… et le feu rouge du ministère des Finances
La commission a tenu 4 réunions, la dernière ayant eu lieu en janvier 2021. Lors de cette réunion, les parties prenantes ont convenu de la nécessité de transférer tous les services financiers de la Poste à la Banque Postale. Cependant, cette solution s'est heurtée à des obstacles juridiques et réglementaires.
Tout d'abord, la forme juridique de la Poste tunisienne (établissement public à caractère non administratif) ne lui permet pas de créer la Banque Postale en tant que filiale ni de transférer son activité principale à cette entité. Pour surmonter cette contrainte juridique, la commission a proposé d'adopter un texte de loi créant la Banque Postale, sur le modèle de celui qui a donné naissance à la Banque des Régions. La Poste tunisienne a préparé un projet de loi en ce sens, conformément à ce qui a été convenu.
Le deuxième obstacle concerne la manière dont les comptes courants et les comptes d'épargne postaux seront traités. La Banque Centrale a exigé que les soldes de ces comptes soient transférés de l'État à la Banque Postale, comme cela a été fait dans des expériences similaires. Cependant, le ministère des Finances est réticent à renoncer aux ressources provenant de ces comptes, qui sont utilisées pour financer le budget de l'État et couvrir les dépenses courantes, notamment dans un contexte de pénurie de ressources de financement.
Pour surmonter cet obstacle, la Poste a proposé de transférer ses services financiers à la Banque Postale tout en chargeant cette dernière de la gestion des comptes courants et d'épargne au profit de l'État, au lieu de La Poste. De nouveaux accords devront être conclus dans ce cadre. La Banque Postale sera autorisée à ouvrir de nouveaux comptes bancaires.
En ce qui concerne les comptes courants actuellement gérés par La Poste, la commission a proposé 4 scénarios:
- Transférer les soldes des comptes courants postaux des personnes physiques du Trésor public au profit de la Banque Postale (21% du total des soldes);
- Transférer les soldes des comptes courants postaux des personnes physiques et des entreprises du Trésor public au profit de la Banque Postale (50% du total des soldes);
- Transférer les soldes des comptes courants postaux des personnes physiques et des entreprises du Trésor public au profit de la Banque Postale, progressivement sur une période de cinq ans;
- Transférer les dépôts annuels supplémentaires des comptes courants postaux des personnes physiques et des entreprises (3% du total des soldes) du Trésor public au profit de la Banque Postale et souscrire les soldes restants en bons du Trésor non négociables. Cette procédure a été utilisée lors de la création de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Cependant, les travaux de la commission ont été suspendus en mars 2021 suite au refus catégorique et sans justification du ministre des Finances de l'époque, Ali Kooli, de traiter le dossier.
La Poste tunisienne a adressé, le 26 décembre 2021, une correspondance au gouverneur de la Banque Centrale et au ministère des Finances (chapeauté depuis le 2 août par Sihem Nemsia, actuelle ministre) afin de reprendre les travaux de la commission tripartite et de finaliser les procédures relatives à la création de la Banque Postale.
Aucune réponse n’a été reçue.
Relance du dossier
Ces détails ont été révélés en réponse à une question écrite adressée par la députée Olfa Marouani au ministre des Télécommunications, Nizar Ben Néji.
Quant au sort de ce projet, le ministre a indiqué que ce dossier sera soumis à un conseil des ministres restreint en vue d'adopter un projet de loi portant création de la Banque Postale.
Cette banque sera autorisée à ouvrir des comptes bancaires pour les clients, mais sans aucun transfert physique des soldes des comptes courants postaux au profit de la Banque Postale.
"Cette solution est un compromis entre les exigences du ministère des Finances et de la Banque Centrale de Tunisie, car elle ne modifie pas fondamentalement la relation entre la Poste et le ministère, mais transforme le rôle de la poste dans la banque, ce qui permet à la BCT d'exercer son rôle de surveillance", a justifié le ministre dans sa réponse.