En octobre de l'année dernière, les autorités tunisiennes et les équipes techniques du Fonds monétaire international (FMI) ont conclu un accord visant à soutenir les politiques économiques de la Tunisie au moyen d'un prêt de 1,9 milliard de dollars sur 48 mois.
Cependant, presque un an après cet accord, il n'a pas progressé d'un pouce en raison d'un refus catégorique du président de la république, Kais Saied.
L'importance de cet accord avec le FMI dépasse largement les fonds qu'il apporterait. En effet, plusieurs partenaires de la Tunisie avaient conditionné leurs financements à la signature avec le FMI.
Face à cette situation, une question fondamentale émerge: la Tunisie peut-elle se passer du programme du FMI?
Dans une note de recherche publiée aujourd’hui, les analystes de Tunisie Valeurs ont tenté de répondre à cette question.
Les indicateurs de la mi-août de la banque centrale sont les suivants:
- Solde courant (trésorerie): environ 853 millions de TND, soit environ 259 millions USD;
- Réserves nettes de devises étrangères: environ 25,15 milliards de TND, soit environ 8,1 milliards USD;
- Refinancement global: environ 15,518 milliards de TND, soit environ 4,702 milliards USD.
Ces indicateurs de la mi-août sont publiés après un important remboursement d'obligations, ce qui rend tout à fait envisageable une reprise économique sans le programme du FMI cette année (2023). Il y a de bonnes raisons de croire que la Tunisie parviendra à sortir progressivement de la crise.
Relance de plusieurs secteurs clés
Les principaux moteurs de croissance sont en voie de reprise, ont affirmé les analystes de Tunisie Valeurs.
La production et les exportations de phosphate gagnent en vigueur. Le carnet des commandes a considérablement augmenté cette année, avec une demande du Brésil, de l'Indonésie et de l'Inde stimulant les volumes d'exportation. La CPG prévoit ainsi une production de 5 millions de tonnes, dont un demi-million sera exporté.
Avec l'apaisement des manifestations et le retour progressif de la paix sociale sur le site de production, les exportations de phosphate devraient augmenter de manière significative en 2024, ce qui constitue une occasion unique pour la Tunisie de réduire son déficit commercial (les prix du phosphate ont triplé sur les marchés des matières premières depuis 2010).
La reprise est également forte en termes de recettes touristiques. La Tunisie a enregistré un nombre record de touristes en 2023 et les revenus devraient atteindre 2 milliards de dollars américains.
De leur côté, les envois de fonds des non-résidents tunisiens ont également atteint un nouveau record dépassant les 3 milliards de dollars américains, renforçant ainsi le coussin de sécurité des réserves de devises étrangères.
Les exportations de biens manufacturés devraient également augmenter grâce à une forte demande des marchés de l'UE pour les textiles et les pièces automobiles. Les volumes d'exportation de biens manufacturés devraient atteindre 20 milliards de dollars américains, ce qui signifie que le secteur privé tunisien reste solide et résilient face à la crise.
Amélioration des réserves en devise
Avec des investissements étrangers en baisse à un niveau record en 2022 et 2023, la Tunisie a été contrainte d'utiliser ses propres réserves pour rembourser sa dette étrangère. Le niveau des réserves est passé de 120 jours d'importation en 2022 à 90 jours en mars 2023. À la mi-août, la situation a commencé à s'améliorer grâce à la reprise générale dans les secteurs clés de l'économie et au financement étranger que la Tunisie a reçu récemment.
Les réserves de devises étrangères s'élèvent actuellement à 109 jours d'importation (environ 8,1 milliards de dollars américains), leur niveau le plus élevé au cours des douze derniers mois, ce qui rassure les détenteurs d'obligations alors que le pays se prépare à payer deux grosses échéances pour des eurobonds. La première, prévue en octobre, concerne 500 millions d’euros alors que la deuxième, attendue en février 2024, est de 850 millions d'euros.
Les analystes de Tunisie Valeurs affirment que les marchés obligataires ont salué ces développements, rendant le risque de défaut s’éloigner avec les obligations souveraines tunisiennes se négociant à leur plus haut niveau depuis octobre 2022 à Francfort.
Le rendement des obligations tunisiennes reste élevé, néanmoins, mais les craintes observées sur le marché au cours des 6 derniers mois s'estompent lentement. Enfin, et surtout, la stabilité du TND-USD au cours des douze derniers mois a donné plus de confiance aux investisseurs étrangers, ce que l'on peut constater par les flux importants sur le marché boursier tunisien, même si les investissements directs étrangers restent faibles.
Le retour en force des financements étrangers en 2023 ouvre la voie à un soutien à plus long terme de la part des partenaires étrangers. Les auteurs de la note rappellent que la Tunisie a déjà reçu un prêt de 500 millions USD de l’Africximbank, un crédit de 500 millions USD en provenance d'Arabie saoudite (dont une subvention de 100 millions USD) ainsi que 1 milliard de dollars de l'Union européenne (dont une subvention de 150 millions USD).
Le prêt et la subvention de l'Union européenne à la Tunisie marquent un changement majeur dans la manière dont l'UE et spécifiquement l'Italie traitent avec la Tunisie à l'avenir. La Tunisie est considérée, d’après l’analyse de Tunisie Valeur, comme un partenaire stratégique étant donné le flux important d'immigration vers l'Europe que l'Italie souhaite stopper à tout prix. Les récents "séismes" politiques dans la région du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger en particulier) vont accroître le soutien de l'UE à la Tunisie, qui joue un rôle central dans la crise des migrants africains.
Les défis à surmonter
Cependant, malgré ces signes positifs, des défis persistent. Bien que les analystes de Tunisie Valeurs estiment que le risque de défaut souverain est faible, ils affirment garder un œil attentif sur plusieurs menaces:
- La tendance à la reprise doit être accompagnée d'une croissance économique durable, qui reste faible pour le moment (de 2,5% à 3%) — loin du niveau moyen annuel d'avant la révolution de 4,5%;
- L’absence de réformes dans les entreprises publiques, dans le système de subventions alimentaires et énergétiques, et aucun changement dans l'environnement des affaires;
- L'inflation à 9% constitue une véritable menace pour la reprise;
- La dette par rapport au PIB reste élevée —avec la dette étrangère représente les deux tiers de la dette totale;
- La note de risque souverain à CCC- envoie des signaux négatifs au monde que les analystes de Tunisie Valeurs trouvent qu’ils ne reflètent pas la réalité.
“Nous pensons que la Tunisie est pour la première fois depuis la révolution de janvier 2011 sur la bonne voie pour la reprise”, ont noté les experts de Tunisie Valeurs. “C'est une chance unique de sortir de la crise et de rechercher un avenir meilleur”, ont-il conclu.